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Par abus de langage, les sites web qui mettent en rapport des offres et des demandes et prennent une commission au passage s'appellent des "plateformes digitales", ou un peu plus justement, des "marketplaces". Des exemples types sont Amazon, qui met en relation des marchands et des acheteurs, ou Uber qui met en relation des chauffeurs et des voyageurs, ou Airbnb qui met en relation des propriétaires et des locataires.
Ces modèles économiques sont extrêmement intéressants quand ils fonctionnent, car les coûts d'opérations de la plateforme sont marginaux par rapport aux volumes traités. Quand un marchand vend un frigo sur Amazon et le livre au client, Amazon doit juste envoyer quelques messages à l'un et à l'autre, encaisser puis virer le paiement, en échange d'une part substantielle du prix du frigo, sans jamais l'avoir vu !
Par conséquent, ce sont des modèles potentiellement très rentables, et très "scalables", c'est-à-dire qu'on peut changer d'échelle sans grand effort : vendre 100 fois plus de frigos ne nécessite pas tellement plus de travail ou de coûts pour Amazon. Ce sont donc des modèles qui intéressent beaucoup les investisseurs, qui voient là des possibilité de multiplier des investissements par 100, de quoi compenser leurs investissements perdus...
C'est donc sans surprise que de nombreux africains (souvent de jeunes et brillants informaticiens), comprenant qu'en 2024 il est très facile de développer une telle plate-forme avec les outils informatiques du marché, se lancent sur des modèles similaires, voire identiques. Le nouvel Amazon camerounais ; le nouvel Uber ivoirien ; le nouvel Airbnb sénégalais... etc.
Et une fois la plateforme développée, c'est le lancement grâce à quelques posts sur les réseaux sociaux, puis l'attente... puis l'échec. Une fois la curiosité des visiteurs passée, ils partent et ne reviennent plus. Pourquoi ? A cause du cercle vicieux de la masse critique d'offres et de demandes.
Quand un "acheteur" se connecte, il constate qu'il n'y a pas assez d'offres pour correspondre à son besoin (pas les produits qu'il cherche, pas de chauffeur disponible, pas d'appartement dans le quartier...) ; il quitte le site avec l'idée qu'il est vide et inutile, et le fera savoir autour de lui s'il a l'occasion.
Quand un "offreur" se connecte et place ses offres, il constate qu'il n'y a pas assez de demande pour rentabiliser son effort (peu d'appels, pas de ventes) ; il arrête de mettre à jour la plateforme, la quitte le site avec l'idée qu'elle est vide et inutile, et le fera savoir autour de lui s'il a l'occasion dans son milieu professionnel.
On a tous vu autour de nous des sites de petites annonces, des sites de taxis, des sites de vente en ligne, des sites de service à la personne qui sont des "zombies" : ils sont virtuellement morts, mais par la force de l'informatique, ils tiennent encore debout, mais il n'y a plus d'activité commerciale.
Même si l'entrepreneur investit lourdement dans une campagne de trafic payante pour attirer des visiteurs, les visiteurs seront déçus par le manque d'offre ; et s'il s'investit dans le recrutement d'offreurs, ils seront déçus par le manque de ventes.
Autre piège, moins structurel : une plateforme structurée nécessite une offre structurée, c'est-à-dire qu'elle exige un certain professionalisme de la part des offreurs : pas de ruptures de stock non prévues, pas de changement de prix de dernière minute, rapidité de livraison ou d'intervention, qualité des produits et des emballages... Et quand on travaille avec tout le monde, on a parfois un peu n'importe quoi, au risque de décevoir (définitivement) les acheteurs. La formation, l'encadrement et l'appui des professionnels nécessite une organisation et des coûts qu'il ne faut surtout pas oublier.
Dernier piège : l'utilisateur n'a qu'un seul interlocuteur commercial, c'est la plate-forme ; dans le cas d'une plateforme centrée sur des produits, qui implique une logistique et des coûts, l'acheteur peut avoir du mal à accepter qu'une commande de 3 produits différents implique 3 coûts de livraison qui s'ajoutent. Des mécanismes de stocks déportés, de centralisation multi-niveaux peuvent être nécessaires pour éviter que les coûts logistiques plombent les coûts de revient... et les prix de vente.
Vous l'avez deviné, la seule solution pour sortir de ce cercle vicieux c'est d'accroire rapidement à la fois l'offre et la demande sur la plateforme. Mais c'est évidemment plus difficile à faire qu'à dire. Cela nécessite des moyens importants (financiers pour le marketing à destination des acheteurs, B2B à destination des offreurs), une excellente coordination pendant cette phase critique. Et généralement, l'entrepreneur n'a pas ces moyens. Un exemple dans la section suivante va donner des chiffres...
L'autre solution, bien plus accessible à un entrepreneur qui démarre, consiste à établir cet équilibre de l'offre et de la demande sur un périmètre plus restreint. Géographiquement, au lieu de couvrir un pays, on peut commencer par une ville, ou même un quartier. En terme d'offre également, on peut se spécialiser dans un domaine, par exemple les légumes, avant d'attaquer les fruits, les viandes, et les produits transformés.
Et cette seconde approche est bien plus saine, car elle permet d'identifier les problèmes sérieux (inadéquation de l'offre, faiblesse de la demande, problèmes de qualité, ...) à échelle réduite, sans se "griller" au niveau national ou sur l'ensemble de l'offre finale. Car tant que la plateforme n'a pas trouvé son équilibre, elle continue de "détruire de la valeur" auprès des utilisateurs déçus par ses manques.
Prenons exemple d'une marketplace de produits frais au Cameroun. Pour qu'un acheteur considère sérieusement le site, il faut qu''il soit complet sur une offre, par exemple les fruits et les légumes. Sans rentrer dans le détail des variétés, il faut environ 50 produits pour couvrir à peu près le besoin, idéalement 100.
Un producteur agricole peut proposer 1 à 10 produits différents pendant 50% de l'année. Une règle de 3 nous indique donc que pour avoir une offre complète dans une zone donnée, il faudrait 40 producteurs pour couvrir la demande. Et en pratique c'est un peu plus compliqué, car il y a de nombreux aléas (productions perdues, route inaccessible, hors-saisons...).
Or 40 producteurs pour Douala, plus 40 autres pour Yaoundé, plus 300 autres pour le reste du pays (le Cameroun est vaste), cela représente un énorme travail de prospection, de négociation, puis de gestion pour garder le contact. Pas question de se croiser les bras et de laisser les acheteur découvrir après commande que tel fournisseur ou tel produit n'est en fait pas disponible.
Et en retour, si on a 380 fournisseurs sur la plate-forme, ils s'attendent à faire au moins 3 ventes par jour chacun pour justifier leurs efforts (et les commissions). Cela fait environ 1.000 ventes par jour. Or sur un site de e-commerce, on constate une moyenne (très générale) de l'ordre d'une commande pour 100 visiteurs (1% de taux de transformation). Attention, si le site n'est pas parfaitement ergonomique, ou l'offre n'est pas à un très bon prix, le taux de transformation peut tomber à 1 pour mille.
Il est donc nécessaire d'avoir 100 x 1.000 visiteurs par jour sur la plateforme. Et si on utilise par exemple une campagne Facebook de génération de trafic, on a généralement des coûts de l'ordre de 0,01 €/clic ; donc 100.000 x 0,01 = 1.000 € par jour de marketing digital. Ce qui représente 1 € par vente (puisqu'on est sur 1.000 ventes par jour), donc rien d'impossible.
Mais on sent bien qu'à la moindre erreur, on va jeter de l'argent par les fenêtres en grandes quantités...
Dans l'hypothèse d'un lancement réduit, par exemple juste des légumes (25 références) à Yaoundé (5 producteurs), on doit générer 15 commandes par jour, soit 1.500 visites, soit 15 € de budget Facebook... bien plus raisonnable. Sauf que si les prix sont un peu élevés, l'offre incomplète, les frais de livraison significatifs, le tunnel d'achat un peu compliqué, il faut plutôt 15.000 visites et donc 150€/jour pour le même résultat...